Le Coup de Sang de Marie de Gandt

le 07.06.2021

La condition menstruelle est un élément de diabolisation du corps féminin dans l’imaginaire collectif, et une source de précarité concrète pour des millions de femmes dans le monde.


À ce titre, la lutte d’associations comme Règles élémentaires est cruciale : vivre sereinement la période de ses règles est la condition pour que des millions de femmes puissent aller travailler, étudier, ou ne serait-ce que sortir dans l’espace public ! Les conditions concrètes d’une vie de femme digne et décente, voilà un juste combat. En parallèle, c’est aussi un ensemble de mentalités, de superstitions, de regards culturels qu’il faut faire évoluer. Et le savoir est ici notre meilleur atout. Car les règles sont encore un objet trop méconnu.

Pourquoi les femmes ont-elles leurs règles tous les 28 jours ? A cause de la lune, pensent certain·es. Relier le cycle menstruel au cycle lunaire, c’est une histoire qui permet d’envisager les corps féminins comme parties intégrantes du cosmos. Une belle histoire, qui peut nous rendre fières, et fortes, notamment d’imaginer une communauté secrète des femmes communiant par l’état de leur corps dans une même harmonie. Reste qu’il faut en mesurer la dimension imaginaire, pour ne pas se perdre dans l’irrationalité. Si les règles ont lieu tous les 28 jours, c’est à cause… des calendriers ! Car les cycles menstruels varient selon la façon dont on compte le temps, autant qu’ils varient selon chaque femme.

Penser que nous allons nous libérer du masculinisme en revendiquant un lien avec la lune ou avec l’harmonie cosmique est un leurre : c’est sans doute une belle façon de raconter les règles aux petites filles, en rapprochant les femmes du vitalisme universel, de la germination de la nature, de la floraison d’un arbre, mais à côté de ces récits - à prendre comme des récits -, il faut chercher à savoir comment les règles sont construites, par les sciences, les savoirs et les imaginaires de chaque époque. C’est la condition pour faire du nom de « femmes » une catégorie ouverte, source de libération. Car que se passe-t-il pour les femmes qui ont des rythmes irréguliers, pour celles qui n’ont plus leurs règles, et pour celles qui ne les ont jamais eues ? En sont-elles moins femmes ? Les femmes menstruées ne sont qu’une partie du groupe d’êtres se revendiquant femmes, dans une certaine catégorie d’âge et d’état corporel… bref, les règles sont loin d’être un marqueur fixe de la définition de ce qui fait le corps féminin. Et elles sont loin d’être un phénomène défini avec précision : on peut ainsi discuter la définition même de la menstruation.

Pendant des siècles, dans l’héritage de la médecine hippocratique, et avant la découverte de l’ovulation au début du XIXe siècle, on a considéré que les écoulements menstruels étaient du même ordre que les saignements provenant d’autres parties du corps, qui se produisaient aussi chez les hommes, et chez eux aussi de façon périodique. Sans le poids des normes culturelles que nous prenons pour des lois naturelles, on verrait que c’est presque tous les 28 jours, presque chez toutes les femmes, et aussi chez les presque femmes, que se produisent ce qu’on appelle les règles. Et qu’il existe également des presque règles. Bref, la définition du phénomène reste un grand champ d’études. Déconstruire nos certitudes sur le fait physiologique et ses constructions culturelles, c’est aussi une façon de contribuer à la libération des femmes !


Marie de Gandt enseigne la Littérature comparée et les Etudes de genre à l’Université Bordeaux-Montaigne.

Elle est membre co-fondatrice de BIG (Bordeaux Interdisciplinaire Genre), dont le carnet de recherche est en ligne : https://genrebig.hypotheses.org


Chaque mois, nous donnons carte blanche à une personnalité libre d’exprimer son “Coup de Sang” autour des règles, de la précarité, des tabous ou d’autres sujets d’indignation. Les propos exprimés sont ceux de leur auteur·rice.

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