"je n’avais pas la force d’insister et de re-demander des protections"

le 24.08.2023

Je m’appelle Abigail, je suis militante activiste pour la déstigmatisation de la santé mentale, sur les réseaux sociaux sous le pseudonyme @‌voyageuse_au_naturel, et plus particulièrement autour du trouble de la personnalité borderline.

En 2020, j’ai été hospitalisée en hôpital psychiatrique, c’était la première fois pour moi. En l’espace de 48h je me suis retrouvée seule dans une chambre en pyjama, sans aucun effet personnel, et très tôt j’ai eu mes règles.

“À ce moment j’ai demandé au personnel soignant, les blouses blanches, d’avoir accès à des protections périodiques, ce à quoi on m’a répondu qu’ils n’en n’avaient pas. Et là je me suis retrouvée à saigner dans mon pyjama, et donc à tout tacher. Je ne saurais pas expliquer la violence que ça a représenté pour moi. Je me suis sentie dégradée, déshumanisée, on touchait vraiment à mon intimité.

Après 24h, ou peut être plus car c’est très flou, à saigner dans mon coin, je n’avais pas la force d’insister et de re-demander des protections. J’étais dans un état léthargique, je ne pouvais pas le verbaliser. J’ai fini par prendre mon courage à deux mains pour en réclamer de nouveau, et quelques heures plus tard, une blouse blanche est venue avec une couche urinaire. J’étais sidérée. Déjà ce n’est absolument agréable à porter, mais c’est surtout que j’avais l’impression de ne plus rien avoir, d’être vraiment toute seule, de ne plus exister. Mon corps, je le subissais.

L’hôpital n’a bientôt plus pu me fournir de couches urinaires, j’ai donc décidé lors d’un créneau où j’avais le droit à mon téléphone, de créer un groupe Whatsapp avec des ami·e·s, des militantes féministes… Et j’ai envoyé ce message, j’étais désespérée :“SOS je suis à l’hôpital psychiatrique, j’ai pas le droit de visite, et l’hôpital n’a pas de quoi me passer des protections périodiques, est-ce que quelqu’un peut aller m’acheter des protections, faire l’aller-retour et me les donner ?”

J’étais dans un hôpital excentré, et j’ai eu la chance que ma meilleure amie fasse le trajet et dépose des paquets à l’accueil pour qu’on me les donne. Mais là, la question c’est :

Imaginez que j’étais une personne complètement isolée, dans une ville où je ne connaissais personne ? Comment j’aurais pu faire ? Comment font les personnes menstruées hospitalisées qui n’ont personne à proximité sur qui compter, personne à l’extérieur pour leur fournir cette aide là ?

Cette expérience, j’ai eu énormément de mal à en parler pendant longtemps car je pensais que c’était réservé à l’hôpital où j’étais, que c’était une situation isolée. Mais dans le cadre de mon militantisme j’ai pu faire un témoignage pour Konbini, et j’ai notamment parlé de cette expérience. J’ai commencé à avoir des retours d’autres personnes qui avaient vécu ça. J’ai compris que nous étions énormément, et potentiellement encore plus si on se questionnait à grande échelle. Dans le milieu de la psychiatrie, il y a très peu de moyens, humains et/ou matériels. Il s’avère que je suis tombée dans l’une de ces structures. Ce manque de moyens crée de la maltraitance, ce n’est pas volontaire, c’est vraiment de la maltraitance par négligence et manque de moyens. Les blouses blanches sont tellement épuisées qu’elles craquent vraiment, les nerfs lâchent. J’inclus dans la maltraitance par négligence l’expérience que j’ai vécu de la précarité menstruelle car ça a eu des conséquences très dures sur moi et ça a contribué à un certain traumatisme vis à vis du milieu hospitalier.”

Chaque mois, nous donnons carte blanche à une personnalité libre d’exprimer son “Coup de Sang” autour des règles, de la précarité, des tabous ou d’autres sujets d’indignation. Les propos exprimés sont ceux de leur auteur·rice.

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